Lors de l’assemblée municipale de Chambly du mardi 7 mai 2024, le dernier segment du temps de parole libre du conseiller Jean-Philippe Thibault se voulait pédagogique. Mais les explications de l’élu du district du Bassin étaient à la fois erronées (à tout le moins en partie) et semblaient peu pertinentes.

Affirmant « répondre à la question » (on ignore laquelle), il a parlé de la vague de démissions de conseillers municipaux au Québec depuis la dernière élection de 2021, puis du caractère public – ou non – des réunions plénières du conseil municipal, avant d’en venir à la partie pédagogique de son intervention.

Pouvoir législatif et pouvoir exécutif

Il a alors expliqué les notions de « pouvoir législatif » et « pouvoir exécutif », indiquant que « L’exécutif correspond au gouvernement tout comme le législatif correspond au Parlement. Cette séparation est claire entre les deux. L’exécutif, soit le Conseil des ministres, et le législatif, L’Assemblée nationale. L’un gouverne, et l’autre évalue leur travail. »

Les deux premières phrases sont à peu près correctes, mais la troisième (« évalue leur travail ») laisse perplexe. Certes, le corps législatif a une mission de contrôle envers le gouvernement, mais celle-ci est généralement remplie par les élus de l’opposition (absente à Chambly), et ne constitue pas le principal rôle du pouvoir législatif, qui est d’adopter des lois (ou, au niveau municipal, des règlements et des résolutions).

Au niveau municipal

La suite de l’intervention de M. Thibault est plus problématique :

Alors que nous, au municipal, nous n’avons pas cette séparation, nous effectuons un peu le travail dans les deux. Au sein d’un conseil municipal, celui-ci n’étant pas clair, ce n’est pas une simple chambre des débats. Son rôle est de prendre des décisions, représenter les citoyens et gérer les affaires municipales, et assumer la responsabilité de ses actions.

[Le « celui-ci » semble faire référence à la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.]

Il est vrai que les municipalités québécoises n’ont pas, formellement, de pouvoir exécutif explicite – même celles qui ont un « comité exécutif », d’ailleurs (lire Le manuel de l’élu municipal à ce sujet). Cela ne veut pas dire que les conseillers accomplissent les tâches relevant normalement du pouvoir exécutif.

Selon le site internet « Perspective Monde » de l’Université de Sherbrooke, le pouvoir exécutif « a pour fonction de mettre en œuvre -d’exécuter- les lois adoptées par le pouvoir législatif ». On apprend aussi que « L’exécutif dispose également de pouvoirs qui lui sont propres, souvent qualifiés de « discrétionnaires ». »

Rien de cela pour les élus municipaux. Le site internet de la Commission municipale du Québec (CMQ) ne laisse aucun doute à ce sujet : « Le conseil municipal est le représentant de la municipalité (art. 79 CM* et 47 LCV**). Mais individuellement, les conseillers ont un rôle limité. Ils ne prennent des décisions que collectivement, lors des séances du conseil. Pour le reste, ils n’ont aucun pouvoir. Ils peuvent toutefois être mandatés pour représenter la municipalité dans des organismes ou sur des comités. Mais encore ici, cela ne leur donne aucun pouvoir individuel. »

* CM : Code municipal

** LAV : Loi sur les cités et villes

(Le Manuel de l’élu municipal confirme cette explication et donne plus de détails.)

Pouvoirs particuliers de la mairesse (du maire)

Si une situation urgente se présente, les élus ne peuvent en traiter que dans le cadre d’une assemblée du conseil. Une assemblée extraordinaire, forcément publique, peut être convoquée dans de telles circonstances. Si l’urgence est telle qu’on ne peut attendre la tenue d’une telle assemblée, alors la mairesse (ou le maire) a des pouvoirs plus étendus que le reste du conseil, qui lui permettent de traiter cette urgence : toujours selon le même site internet de la CMQ, elle peut en effet exercer « le pouvoir d’engager une dépense et de passer des contrats dans les cas de force majeure de nature à mettre en danger la population ou à détériorer les équipements municipaux. »

Ajoutons que le site « Perspective Monde » précise aussi que « Le pouvoir exécutif a également pour caractéristique d’être continu dans le temps, alors que le pouvoir législatif ne siège que périodiquement. On peut ajourner le travail d’un Parlement; on ne peut pas ajourner le travail du gouvernement. » Il est clair que le pouvoir du conseiller, dont on a vu qu’il se limite aux assemblées du conseil, qui ne l’occupent que de deux à trois heures par mois, n’est pas continu dans le temps.

Au-delà de cette analyse, une question reste : pourquoi M. Thibault a-t-il eu envie de se livrer à une telle explication ?

L’absence d’opposition, une bonne chose ?

Nous ne pouvons nous empêcher de citer un autre extrait de l’intervention de M. Thibault : « De plus, en l’absence d’une opposition, nous assistons au consensus, aux échanges d’idées et aux opinions. Les solutions pour arriver aux meilleures décisions pour la population et la ville qui nous tient tant à cœur. »

Sans la commenter, permettez-nous de comparer cette affirmation en vis-à-vis d’une citation du bras droit (à l’époque) de l’ancien maire Denis Lavoie, qui affirmait ceci au journal Chambly Matin : « Il n’y a qu’une seule voix discordante dans ce conseil et c’est celle de Madame Francine Guay (…) » Mme Guay était, à l’époque, la seule conseillère qui s’opposait au maire qui, on se rappelle, a depuis « « acquiescé sans réserve à l’Action en déclaration d’inhabilité » intentée contre lui par la CMQ ». (Cette inhabilité l’empêche d’être membre d’un conseil municipal jusqu’au 17 décembre 2026.) Sans Mme Guay, à l’époque, le conseil aurait toujours été unanime, comme il l’est aujourd’hui (à une exception près).

L’intervention de M. Thibault

Voici la transcription complète de l’intervention de M. Thibault :

Je vais répondre à la question.

Près d’un élu municipal sur dix a démissionné depuis 2021, c’est donc près de 800 sur les 8000 personnes qui ont été élues qui ont déjà quitté leur fonction. C’est une situation inique et inquiétante.

Depuis mon arrivée en poste, il est arrivé à plusieurs reprises que l’on me reproche ou que l’on nous reproche de ne pas avoir de débats lors des conseils de ville, de ne pas avoir d’animation, de ne pas avoir d’échanges houleux ou, tout simplement, de prises de position divergées (sic).

Les débats peuvent être un forum pour faire valoir un argument, une position. Mais ce qui compte vraiment, c’est l’impact des décisions sur la vie des gens, nos citoyens. Débattre publiquement de ce qui est proposé n’apporte rien en soi, bien que les débats soient une partie importante du processus décisionnel des instances fédérale et provinciales. Il y a là une séparation entre le législatif et l’exécutif.

L’exécutif correspond au gouvernement tout comme le législatif correspond au Parlement. Cette séparation est claire entre les deux. L’exécutif, soit le Conseil des ministres, et le législatif, L’Assemblée nationale. L’un gouverne, et l’autre évalue leur travail. Alors que nous, au municipal, nous n’avons pas cette séparation, nous effectuons un peu le travail dans les deux.

Au sein d’un conseil municipal, celui-ci n’étant pas clair, ce n’est pas une simple chambre des débats. Son rôle est de prendre des décisions, représenter les citoyens et gérer les affaires municipales, et assumer la responsabilité de ses actions.

De plus, en l’absence d’une opposition, nous assistons au consensus, aux échanges d’idées et aux opinions. Les solutions pour arriver aux meilleures décisions pour la population et la ville qui nous tient tant à cœur.

Mes concitoyens n’ont pas à craindre que leurs intérêts soient sacrifiés sur la potence des considérations partisanes car ce climat unique d’échanges d’idées et d’indépendants, ce qui nous rend si efficaces.

Je ne peux m’avancer sur ce qui a mené mes nombreux confrères à avoir démissionné. Mais une chose est sûre, c’est qu’un conseil aussi amical que nous avons ici à Chambly nous permet d’évoluer, de faire évoluer nos idées et de mettre les citoyens avant tout. Et c’est pour ça que moi je me suis présenté ici et c’est pour ça que je suis fier d’être ici devant vous ce soir. Merci.