Veuillez noter une importante mise à jour de ce texte le 8 juin 2024, que vous trouverez à la fin de l’article.

À la suite d’une publication d’un ancien représentant officiel d’un parti politique de la ville de Chambly, nous avons pris l’initiative d’effectuer des recherches et vérifications afin de valider la véracité de ce qui était affirmé par cette personne.

Voici le fruit de nos recherches. Les élections municipales sont encadrées au Québec par la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités. Sont couverts par cette loi la déposition des candidatures des électeurs, le montant des contributions qu’il est possible de faire ainsi que la façon de dépouiller et de contester le vote.  

La Section IV du Chapitre XIII contenu dans le Titre I encadre l’autorisation des candidats municipaux ainsi que les contributions qui peuvent être effectuées.

Chaque parti et chaque candidat indépendant doit être autorisé par le Directeur général des élections du Québec, afin de pouvoir se présenter à une élection municipale. Un parti politique, dans une municipalité ayant entre 5000 et 50 000 habitants, doit avoir en tout temps 25 membres actifs afin de continuer à être autorisé (article 397). Les candidats indépendants, eux, n’ont pas l’obligation d’avoir des membres.

Le financement

En ce qui concerne le montant autorisé des contributions, l’article 431 précise qu’un électeur peut contribuer jusqu’à hauteur de 100 $ à chaque parti politique et à chaque candidat indépendant, en plus de la possibilité de payer jusqu’à 25$ pour une carte de membre. Il est également mentionné que ce montant est augmenté, lors d’une année électorale, de 100 $ par parti politique et 100 $ par candidat indépendant, pour un maximum de 200 $. Durant cette année électorale, le candidat peut aussi se verser à lui-même un montant supplémentaire de 800$.

Or, aucune disposition de cette loi n’encadre les regroupements de candidats indépendants. La loi permet donc à tous les membres d’une coalition d’indépendants de verser la somme maximale de 200$ à chacun des autres membres de sa coalition, en plus des 1000$ (200$ + 800$) qu’il peut se verser à lui-même.

Est-il éthique pour un regroupement de candidat de se présenter comme étant une coalition de candidats indépendants et par le fait même de bénéficier de règles de financement beaucoup plus avantageuses ? Est-ce un moyen détourné pour se donner un avantage indu par rapport aux candidats qui assument leur affiliation politique?

L’objectif du gouvernement du Québec lorsqu’il a réduit les montants de contribution maximale était de favoriser le financement populaire et donc diminuer l’influence que pouvaient avoir quelques donateurs ou candidats ayant de gros moyens financiers. Le stratagème décrit plus haut crée le résultat opposé en permettant à un seul électeur de verser au collectif d’indépendants bien plus que le 200 $ qu’il est permis de verser à un candidat.

Bien sûr, il s’agit ici d’une possibilité théorique et nous n’avons aucune façon de savoir si la coalition d’indépendants qui s’est formée à Chambly a pris avantage de cette échappatoire (dont la légalité n’a, à notre connaissance, jamais été testée devant les tribunaux).

Quelques chiffres, pour Chambly par exemple

En fonction des règles de financement et du nombre d’électeurs inscrits dans la ville et chacun des districts, les candidates à la mairie de Chambly peuvent dépenser jusqu’à 11 111,61$ chacune, alors que les candidats et candidates aux postes de conseillers et conseillères ont une limite moyenne de 2 737,91$ (la fourchette varie très peu d’un district à l’autre).

Ainsi, le montant maximal de dépenses autorisé pour une équipe complète, en supposant qu’elle présente des candidats dans chacun des districts*, est de 33 014,91$.

Chaque équipe peut donc dépenser le même montant, peu importe qu’elle se présente sous forme de parti ou d’équipe d’indépendants coalisés. Toutefois, ces deux équipes ne peuvent pas obtenir ce financement de la même façon. (Précisons que les candidats « indépendants coalisés » ne peuvent transférer de l’un à l’autre la partie du montant autorisé dont ils considèrent ne pas avoir besoin.)

Parti politique

Dans un hypothétique parti politique municipal présentant des candidats aux neuf postes électifs, chaque candidat peut faire un don de 1025$ (incluant la carte de membre). Imaginons que le conjoint ou une autre personne proche (père ou mère, par exemple), verse le maximum (225$), le parti commence donc sa campagne de financement avec 11 250$.

Pour atteindre le maximum autorisé, le parti aura donc besoin de récolter 21 764,91$ supplémentaires. En supposant que chaque donateur donne le maximum de 225$ (considérant que, après crédits d’impôt, un don de 200$ ne coûte en réalité que 45$), il faudra trouver 97 donateurs.

Coalition d’indépendants

Pour une tout aussi hypothétique coalition d’indépendants, chacun des candidats, on l’a vu, peut se verser 1000$ à lui-même mais peut aussi verser 200$ à chacun des huit autres candidats, pour un total de contributions de 2 600$ par candidat. En théorie, un proche (conjoint, père ou mère) de chaque candidat pourrait verser 200$ à chacun des neuf candidats, mais cela ferait déjà dépasser le maximum des dépenses autorisées aux candidats à des postes de conseillers. DIsons donc simplement que les proches des candidats aux postes de conseillers donnent 200$ à leur conjoint et 200$ à la candidate à la mairie (total 400$), alors que le proche de la candidate à la mairie se contente de donner 200$ à celle-ci. Cela donne les tableaux suivants:

Pour les candidats aux postes de conseillers:

SourceMontantTotal
Soi-même1000$1000$
Son conjoint, père ou mère200$200$
Chaque autre candidat200$ (multiplié par 8)1600$
Total 2800$

Ce montant dépasse légèrement la dépense maximale autorisée, donc le candidat n’a pas besoin de trouver un seul donateur en dehors du groupe des autres candidats et son propre conjoint.

Pour la candidate à la mairie:

SourceMontantTotal
Soi-même1000$1000$
Son conjoint, père ou mère200$200$
Chaque autre candidat200$ (fois 8 candidats)1600$
Proche de chaque autre candidat200$ (fois 8 candidats)1600$
Total 4400$

Avec des dépenses autorisées de 11 111,61$, il ne manque donc plus à la candidate à la mairie que de trouver 6 711,61$, ce qui peut être obtenu avec 34 donateurs.

Au bout du compte…

Verser 2 600$ pour un seul candidat peut sembler une forte somme, mais les conseillers municipaux gagnent environ 37 500$ par an, soit 150 000$ pour la durée de leur mandat. L’investissement est donc rapidement amorti (en trois semaines et demie environ), à condition bien sûr que le candidat soit élu.

Nous ne croyons pas que les tribunaux se soient jamais penchés sur une telle situation (à confirmer). Le législateur n’a peut-être jamais envisagé que des candidats se regroupent sans former de parti.

* Afin de comparer des comparables, nous avons supposé un parti présentant des candidats dans chacun des districts de Chambly. Dans la pratique, Démocratie Chambly présenté six candidats aux postes de conseillers, ne présentant aucun candidat dans deux districts.

Ajout du 8 juin 2024

À la suite d’un commentaire sur Facebook du conseiller Jean-Philippe Thibault, voici quelques ajouts sur ce texte.

Recommandation du Directeur général des élections (DGE)

D’une part, comme il avait déjà été indiqué dans un des commentaires sous ce texte, les informations sur l’aspect inéquitable de la situation décrite ont été confirmées par Pierre Reid, le DGE à l’époque. M. Reid, dans son rapport pour l’année 2020 (publié en 2021) a dénoncé cette même situation, dans une section de son rapport intitulée « Mise en place de mesures liées aux regroupements des candidats indépendants autorisés » (page 27).

Cette description correspond exactement à la situation que l’on retrouve à Chambly en 2021, soit des candidats indépendants autorisés qui sont regroupés et qui « agissent comme s’ils formaient un parti politique  ». Le DGE ajoute « ils apparaissent parfois sur les mêmes publicités électorales ». On peut voir, à la page 13 du Journal de Chambly du 27 octobre 2021, une publicité où, effectivement, tous les candidats regroupés autour d’Alexandra Labbé apparaissent sur la même page (sauf Luc Ricard, déjà élu sans opposition), avec Mme Labbé au milieu de la page.

Le DGE confirme les avantages dont profitent les indépendants regroupés. Voici les mots exacts qu’il utilise :

Cette démarche pourrait conférer aux candidats indépendants autorisés regroupés un avantage en matière de financement.

Pierre Reid, Directeur générale des élections du Québec, 2021

M. Reid soumet donc sa recommandation numéro 2 (que le gouvernement québécois n’a pas encore mise en œuvre) :

Mettre en place des mesures liées au regroupement des candidats indépendants autorisés.

Les indépendants regroupés de Chambly ont-ils profité de cette situation inéquitable ?

La réponse courte et simple : OUI !

Certes, ils n’en ont pas profité autant qu’ils auraient pu, mais ils en ont bel et bien profité, particulièrement M. Thibault, Mme Labbé et Justin Carey.

Au cours de l’année de l’élection municipale de 2021, au moins six personnes, dont Mme Labbé, Carl Talbot et deux autres personnes ayant un proche lien de parenté avec un candidat ou une candidate indépendante, ont donné une somme à plusieurs candidats, dont le total dépassait le montant qu’elles auraient pu verser si ces candidats avaient œuvré au sein d’un (même) parti officiel.

En détail

Cela a profité à M. Thibault dans trois cas, à Mme Labbé dans les six cas et à M. Carey dans cinq cas. Voici un sommaire :

  • Alexandra Labbé, en plus de se verser le maximum de 1 000$ (en année électorale, les candidats et candidates peuvent se verser 800$ en plus du 200$ que tout le monde a le droit de donner), a également versé 200$ chacun à trois autres candidats : Justin Carey, Colette Dubois et Jean-Philippe Thibault. Elle a donc versé un total de 1 600$, alors que, par exemple, la cheffe du parti Démocratie Chambly était légalement limitée à un maximum de 1 000$ pour l’ensemble des candidats de son parti.
  • Carl Talbot, conseiller du district du Canton, s’est donné le maximum (1 000$) et a en plus donné 200$ à Mme Labbé, pour un total de 1 200$.
  • Un.e parent.e proche d’un.e candidat.e a versé 200$ chacun à M. Thibault, à M. Carey et à Mme Labbé, pour un total de 600$. Un autre citoyen non candidat n’aurait pas pu donner plus de 200$ au total aux candidats d’un parti, comme par exemple le parti Démocratie Chambly.
  • Un.e autre parent.e proche d’un.e candidat.e a versé 200$ chacun à Mme Labbé et à Justin Carey, pour un total de 400$.
  • Un.e citoyen.ne, dont nous ne savons pas si il ou elle a un lien de parenté avec un.e candidat.e, a versé 200$ chacun à Mme Labbé, à M. Thibault et à M. Carey, pour un total de 600$.
  • Finalement, un.e autre citoyen.ne a versé 200$ chacun à Mme Labbé et M. Carey, pour un total de 400$.

Est-ce illégal ? Inéquitable ? Contraire à l’éthique ?

Est-ce illégal ? Apparemment non et nous insistons sur ce fait. Nous n’accusons personne de manœuvre illégale. Toutefois, est-ce inéquitable ? Clairement, et le DGE l’a bien mentionné. Est-ce contraire à l’éthique ? Chacun répondra à cette question selon ses propres valeurs.

À noter que ces données sur les dons sont publiques et peuvent être consultées sur ce site gouvernemental. Ajoutons que seuls les dons de plus de 50$ y apparaissent. Il peut donc y avoir eu d’autres personnes qui ont donné plus de 200$ au total, mais dont aucun (ou un seul) des dons individuels dépassait 50$.

Version modifiée le 13 octobre 2021 à 23h45 pour prendre en compte la possibilité pour les partis de vendre des cartes de membre à un prix pouvant aller jusqu’à 25$ et pour distinguer, pour les candidats « indépendants coalisés », le montant maximal que la candidate à la mairie est autorisée à dépenser par rapport à celui des candidats aux postes de conseillers.

Version modifiée le 14 octobre 2021 à 7h34 pour prendre en compte les conjoints (ou autres proches) des candidats indépendants, de la même façon que les conjoints des candidats appartenant à un parti ont été pris en compte.

Version modifiée le 8 juin 2024 à 9h08 pour prendre en compte la recommandation du Directeur général des élections à ce sujet et pour inclure des informations sur la façon dont les candidats (maintenant élus) regroupés au profité de cet avantage.