Questions et réponses au sujet du projet de changement de zonage pour autoriser l’implantation d’un incinérateur d’animaux domestiques sur le boulevard Périgny.
Q : Pourquoi certaines personnes sont-elles opposées à un incinérateur sur le boulevard Périgny?
R : La principale raison est que le processus d’incinération cause des émanations contenant des produits toxiques. La chronique de Mario Girard de La Presse+ publiée le dimanche 7 mars en parle d’ailleurs et mentionne que « les crématoriums émettent dix des douze polluants les plus toxiques au monde, dont des dioxines et du mercure ».
L’incinération d’animaux (domestiques ou non) va évidemment en générer aussi, sauf peut-être le mercure, qu’on retrouve surtout dans les plombages des humains.
Il y a de très nombreuses habitations près du site prévu, la plus proche à une vingtaine de mètres à peine, et des centaines d’autres dans le Vieux-Chambly, où les vents dominants amèneront les émanations. On trouve aussi, à moins d’un kilomètre, deux garderies, une école primaire (Jacques-de-Chambly) et une école maternelle (La Passerelle) accueillant plus de 300 élèves.
Q : Mais n’y a-t-il pas déjà un crématorium dans ce secteur?
R : Effectivement, il existe déjà à proximité du site prévu un salon funéraire incluant un four crématoire (pour humains).
La chronique déjà citée de Mario Girard soulève d’ailleurs la situation de ces fours crématoires qui se sont installés près de quartiers résidentiels à l’époque où la crémation n’était pas encore très populaire. Dans de nombreux cas (mais sans doute pas dans celui de Chambly), le four crématoire a été ajouté à un salon funéraire qui existait depuis des décennies et qui a ajouté le service de crémation pour s’adapter aux changements de la société.
Mais justement, le fait qu’il y a déjà un crématorium à proximité n’est pas une raison d’autoriser un incinérateur d’animaux, au contraire. Les émanations de l’incinérateur s’ajouteront à celles du crématorium et pollueront encore plus les secteurs domiciliaires à proximité.
Si vous élevez près de l’incinérateur un enfant de sa naissance jusqu’au moment où il quitte la maison, il aura tout de même respiré cette dizaine de produits toxiques presque tous les jours pendant près d’une vingtaine d’années.
Dans certaines villes canadiennes (mais pas encore au Québec), on impose des distances minimales avec les habitations pouvant aller jusqu’à 300 mètres. Pour le site prévu de l’incinérateur, il y a au moins 110 logements qui se trouvent dans un rayon de 300 mètres. Et encore bien plus évidemment si on s’éloigne encore un peu.
Q : Les gens se plaignent-ils des odeurs?
Ce ne sont pas tous les produits toxiques qui émettent des odeurs, et même ceux pour lesquels c’est le cas, la dispersion fait que les gens ne les sentent habituellement pas. Personne n’a la même sensibilité face aux odeurs et certaines personnes ressentiront des odeurs plus que d’autres.
Q : N’y a-t-il pas des mesures de contrôle de la pollution en place?
R : Il y en a, mais elles sont minimes. La chronique de Mario Girard cite d’ailleurs Robert Forget, neurophysiologiste, qui affirme que « Les lois et les règlements du ministère de l’Environnement du Québec sur les crématoriums sont vétustes et désuets. »
Sur le site du fabricant de l’incinérateur, dans la foire aux questions, que dit-on si les émissions sont supérieures à la norme? « il faut augmenter la hauteur de la cheminée. ».
Et, selon le règlement sur l’assainissement de l’atmosphère (article 129), quelle est la fréquence d’échantillonnage des émissions atmosphériques à la cheminée? Un échantillonnage tous les cinq ans, ne portant que sur la quantité de particules à la source et effectué par l’exploitant. On peut être ou ne pas être rassuré.
Q : Pourquoi les promoteurs parlent-ils de crématorium? Est-ce la même chose qu’un incinérateur d’animaux?
R : Le terme « crématorium » est sûrement préférable d’un point de vue marketing au terme « incinérateur », qui englobe tous les appareils dont on se sert pour brûler des déchets.
Un mot peut changer la perception qu’un client a de l’activité et nous comprenons donc que le promoteur tienne à utiliser la sémantique funéraire réservée aux humains pour dupliquer le mécanisme du deuil humain au monde animal.
Par ailleurs, les zones commerciales du boulevard Périgny permettent, pour plusieurs d’entre elles, l’implantation de crématoriums, mais pas d’incinérateurs, qui doivent en général être installés dans des quartiers industriels.
Le promoteur a donc pu affirmer, en présentant son projet, qu’il s’agissait de l’implantation d’un crématorium, afin d’essayer d’obtenir le maximum de visibilité sur une artère commerciale régionale qu’est la route 112.
Mais un incinérateur n’est pas un crématorium.
Tous les dictionnaires s’entendent là-dessus, les crématoriums sont des bâtiments dans lesquels se trouvent un four crématoire, qui est destiné uniquement aux dépouilles humaines.
Évidemment, dans le domaine juridique, ce n’est pas le dictionnaire qui fait foi, c’est la loi. Et la loi est aussi claire que les dictionnaires, autant la Loi sur les activités funéraires (articles 2 et 62) que le règlement sur l’assainissement de l’atmosphère, qui fait partie de la Loi sur la qualité de l’environnement (articles 124 et 126). L’article 126, en particulier, dit ceci :

Il est donc essentiel de ne pas faire l’amalgame entre « incinération » et « crémation », qui ont des caractéristiques bien distinctes et sont régies par des lois différentes.
Q : On a dit que le promoteur pourrait poursuivre la Ville. Est-ce vrai?
R : C’est possible, mais on voit mal sur quelle base.
S’il a présenté une demande de permis en parlant de crématorium, alors il a mal représenté la nature de son entreprise et si un permis a été délivré (l’information n’est pas connue), alors il n’a pas de valeur ou est même illégal, puisqu’il s’agirait d’un permis pour un crématorium.
Et même si l’erreur provenait d’un ou d’une fonctionnaire, le permis n’aurait toujours aucune valeur car la jurisprudence récente affirme que l’erreur d’un employé d’une Ville ne peut pas accorder de droit.
Pour ceux qui veulent les détails :
- Dans un jugement du 3 mai 2019 (expliqué ici), l’honorable Jean-Yves Lalonde de la Cour supérieure a indiqué que « les promesses ou représentations faites par un fonctionnaire ou un élu municipal ne peuvent avoir pour effet de créer des droits ou d’écarter des normes réglementaires ».
- Dans un jugement du 13 novembre 2020 (expliqué ici) touchant une cause différente, les honorables Mark Schrager, Stéphane Sansfaçon et Benoît Moore, de la Cour d’appel, ont suivi la même logique, écrivant : « Les conversations que M. Labelle aurait pu avoir avec la préposée de la municipalité ne modifient pas les termes et conditions des permis ni les règlements de zonage. »
Il y a aussi un jugement de la Cour suprême de 2004 (expliqué ici), qui affirme « qu’une municipalité ne peut être tenue responsable si elle a agi de bonne foi ou si l’exercice de son pouvoir réglementaire ne peut être qualifié d’irrationnel ». On ne peut certainement pas considérer le fait de ne pas changer le zonage de la Ville comme un geste irrationnel. Le texte d’explication ajoute que « La protection de l’environnement constitue une valeur canadienne fondamentale et les municipalités ont en quelque sorte le devoir de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires à son déploiement. »
Le promoteur risque donc de manquer de munitions s’il voulait poursuivre la Ville.
Q : Mais la mairesse n’a-t-elle pas dit que la Ville devrait dédommager l’entreprise pour les frais encourus?
R : En effet, on trouve cette affirmation dans un article du Journal de Chambly du 11 novembre 2020. Il est rarement recommandé de donner des munitions à celui qui menace de vous poursuivre, mais on ne connaît pas tout du dossier. Il est impossible de savoir pourquoi la mairesse a fait une telle affirmation, en supposant que la journaliste ait bien rapporté ses paroles.
Tout de même, un principe fondamental est que le conseil municipal ne s’exprime que par résolution. Cet article paru dans le Journal n’engage donc pas du tout la Ville de Chambly à payer des dédommagements.
Q : Et à Saint-Bruno-de-Montarville, un jugement n’a-t-il pas obligé la Ville d’autoriser un crématorium?
R : D’une part, le jugement est plus complexe que ce qui a été rapporté au départ dans les médias. Si on lit jusqu’à la conclusion le sommaire du jugement publié dans le journal le Montarvillois, on découvre que la juge a approuvé le PIIA (plan d’implantation et d’intégration architecturale), ce qui constitue une défaite pour la Ville, mais pour ce qui est du permis de construire, la juge s’est contentée d’ordonner que la demande soit « retournée à la Ville pour que celle-ci rende une décision conforme à la réglementation en vigueur ».
D’autre part, la situation de Chambly n’a rien de comparable.
À Saint-Bruno-de-Montarville, le zonage autorise les crématoriums, et c’est ce que le promoteur veut construire (des citoyens croient tout de même que d’autres aspects du règlement de zonage ne sont peut-être pas respectés et souhaitent que la Ville continue à se battre pour bloquer le projet). À Chambly, le zonage autorise les crématoriums, mais le promoteur veut construire un incinérateur pour animaux, qui n’est pas autorisé. Les deux cas sont complètement distincts.
Q : Pourquoi le zonage est-il modifié dans deux zones?
R : Bonne question! Si l’incinération d’animaux domestiques ne cause aucun problème environnemental, pourquoi ne pas l’autoriser dans toutes les zones commerciales de la ville?
On peut trouver étonnant que l’administration municipale considère comme un argument favorable à l’acceptabilité sociale du projet le fait de dire qu’il n’y aura pas beaucoup d’établissements de ce genre. Cela n’aide pas ceux qui habitent près des zones où ils seront autorisés.
On pourrait comprendre s’il s’agissait d’un commerce essentiel, mais ce n’est évidemment pas le cas.
Q : Quelle est la différence entre une zone commerciale et une zone industrielle?
R : La Ville, dans son règlement de zonage, décrit chacun des types de zones qui existent à Chambly (résidentielles, commerciales, industrielles, publiques, agricoles et conservation).
Pour chaque zone, des usages peuvent être permis ou prohibés et la classification des usages se subdivisent en classes et sous-classes.
Le règlement proposé par la Ville a pour effet d’ajouter pour l’autorisation d’un incinérateur l’incinération pour animaux domestiques à la classe C-2 (Commerce de Services), dont la description est donnée en page 77 (article 46).
On y découvre que pour appartenir à la classe C-2, cinq conditions doivent être remplies, dont la suivante, qui touche le degré de nuisance et les impacts sur le voisinage :
5° L’usage ne cause ni fumée, ni poussière, ni odeur, ni chaleur, ni gaz, ni éclat de lumière, ni vibration, ni bruit plus intense que l’intensité moyenne des rues aux limites du terrain;
Avec la meilleure volonté du monde, il est difficile de concevoir qu’un incinérateur pour animaux domestiques n’émettra pas de gaz. Après tout, si c’était le cas, pourquoi la cheminée? Et il est évidemment impossible que ces gaz restent confinés aux limites du terrain.
On peut aussi se demander comment se dispersera la chaleur générée par l’incinération, si ce n’est à l’extérieur du bâtiment.
Les zones industrielles peuvent accueillir différents types de commerces lourds (ou para-industriels) et d’industrie, selon la ou les classe(s) d’usage autorisée(s) dans la zone. Un certain niveau de nuisance est toléré, avec bien sûr des contraintes environnementales.
En urbanisme, la notion de contrainte « anthropique » ou relative aux activités humaines est identifiée lorsque l’utilisation du sol, à proximité d’un immeuble, est susceptible de porter atteinte à la sécurité ou à la santé des individus, de même qu’à leur confort et à l’intégrité de leurs biens.
Ainsi, après identification des risques et nuisances, les municipalités de Beloeil et Boucherville imposent les incinérateurs et crématoriums en zone industrielle, selon leur règlement de zonage.
À Chambly, la classe « Industrie des déchets et des matières recyclables » (page 95) est celle où se retrouvent les incinérateurs.
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