Note: la deuxième partie de ce dossier peut être consultée ici.

LE MARCHÉ DU CANTON DE CHAMBLY

Dès la première assemblée du premier conseil de la Corporation du village de Chambly-Canton tenue après l’élection du 24 février 1849, on décide d’ouvrir un marché (un règlement de trois pages fut adopté à cette occasion)[1] et on nomme George Taffe [Taaffe] Sr. le premier proposé au marché. Selon le recensement du village de Chambly de 1851, George Taaffe était cordonnier, né en Irlande, âgé de 53 ans et de religion méthodiste. Marié à Bridget Boyle, le couple avait cinq enfants, dont l’ainé, George, également cordonnier, était âgé de 29 ans mais anglican de foi.

On parle de la « terre du Marché » qui est : « à soustraire du vaste terrain appartenant à Mahlon Willett” (notaire Paul Bertrand, 4 juillet 1854). Ce terrain de Willett est séparé par l’actuelle rue Lafontaine. C’était le domaine seigneurial des Boucher de Niverville. » [2]

Sous la surveillance de George Taffe Sr., qui avait été désigné par le conseil municipal administrateur du marché, on procéda à son érection au cours du printemps et de l’été. [Il fut ouvert en septembre 1849] C’était une bâtisse de bois, vaste pour l’époque, d’un étage, surmontée d’un large toit en porte-à-faux sous lequel les cultivateurs abritaient leurs étalages des rayons du soleil. Des grandes portes donnaient accès à une salle intérieure offrant abri les jours de mauvais temps. Le toit et les murs extérieurs étaient lambrissés de bardeaux. Les murs intérieurs et le plafond étaient en planches comme c’était la coutume dans la construction d’alors.

Les jours où il n’y avait pas de marché, la salle était accessible à la population pour diverses activités : réunions sociales, concerts, bureau de scrutin lors d’élections municipales, distribution de prix de fin d’année aux élèves de l’école, assemblées politiques, etc. On sait que celle-ci servit de lieu de réunion du conseil municipal de 1850 à 1856. Certaines assemblées politiques y furent fort tumultueuses au cours de ces années et se terminèrent souvent en bagarres.

À une certaine époque, il bourdonnait d’activités tous les mercredis et tous les samedis. C’était le lieu de rencontre des villageois et des fermiers, le lieu où on échangeait des nouvelles, ragots et potins, c’était le marché de Chambly ! C’était l’endroit où se dirigeaient, durant la belle saison, les ménagères, les intendantes des maisons cossues, leur panier sous le bras, pour y faire leurs provisions de produits de ferme.

Les fonctions de George Taffe Sr. étaient plus importantes qu’on pourrait croire. C’était lui qui était responsable du bon fonctionnement du marché et de l’application du règlement qui régissait ses activités. Il en était, en quelque sorte, le concierge chargé de son entretien, effectuant les réparations qui pouvaient s’imposer, voyant à ce que la salle soit chauffée en hiver lorsque des réunions s’y tenaient.  Il devait allumer et éteindre les bougies d’éclairage, intervenir à titre d’arbitre lorsque les fermiers se disputaient l’emplacement d’un étalage, veiller à ce qu’ils ne consomment pas d’alcool sur les lieux, à ce que les commerçants ne dorment pas dans leurs voitures et, surtout, il devait prélever le très modeste loyer pour espace d’étalage ou pour l’usage de la salle. Il devait transmettre au secrétaire-trésorier de la corporation un rapport hebdomadaire des sommes perçues et du nombre d’espaces loués. Il avait la responsabilité d’imposer des amendes ne dépassant pas un shilling (20 cents) à quiconque enfreignait un article du règlement … et ceci incluait les dérogations aux bonnes mœurs. [Entre autres choses, il y était défendu de jouer aux cartes pour de l’argent, de parier de quelque manière que ce fut, de se coucher ou de dormir au marché, à moins que ce ne soit dans son propre véhicule].[3]

DE L’ANGLAIS AU FRANÇAIS

Depuis les origines, jusqu’au 2 novembre 1897 quand : « James Gibson quitta sa fonction de Secrétaire-Trésorier et Joseph Demers [en poste pour 27 ans, soit le plus long terme d’office d’un employé municipal de cette municipalité et c’est à lui qu’on doit la francisation[4]] le remplaça, … toutes les délibérations du conseil étaient consignées en anglais, à l’avenir elles seront en français. »[5] Alors, on peut comprendre que les : « By-laws of the Corporation of the Village of the Canton of  Chambly parlaient du Market House, where butcher’s meats, butter, eggs, poultry, vegetable, fish and other provisions, grain, hay, straw, cord, wool and other articles and wares herein enumerated shall be exposed for sale. A Market Committee and a clerk for the market to keep scales. » [6]

PLAN D’ASSURANCE DE 1891

Le chemin à gauche est la rue Bourgogne et celui à droite la rue Centre. Le marché public est situé sur le côté ouest de la rue du Marché, connue en anglais du nom de « Market Street ». On y trouve quatre bâtiments en gris (en effet, ils étaient tous en bois).

Le plus petit à la gauche sur la rue est décrit « scales » ou balance publique. Le grand bâtiment rectangulaire en arrière à gauche d’un étage et demi est l’édifice du « market » ou du marché. Les lignes pointillées de chaque côté et de la longueur du bâtiment représentent des toits de galeries. L’autre bâtiment sur la rue est désigné « printing office » ou bureau d’imprimerie. Le quatrième et dernier bâtiment en arrière et à droite n’est pas identifié.  

Nous croyons que le « Printing Office » était le bureau de l’imprimeur Thomas Gibson, également le secrétaire-trésorier du village. On trouve une référence à Gibson, de Chambly-Canton, Québec, à la page 276 de la publication du The Inland Printer, A Technical Journal, de 1890, publié à Chicago. Il avait envoyé des exemplaires de cartes d’affaires (« plain and in colours ») qui démontraient qu’on faisait du bon travail au Canada. D’ailleurs, selon Auclaire : « Donc, en 1897, le conseil municipal aurait pris la décision de rénover la bâtisse du marché, d’y aménager un logement et un bureau pour son nouveau secrétaire-trésorier (Joseph Demers) »[7]. On ignore jusqu’à quand Thomas Gibson continua d’occuper son bureau d’imprimerie, rue du Marché au village.

LA BALANCE PUBLIQUE

Encore une fois, c’est Auclaire, dans le Cahier de la SHSC qui nous informe :

Le conseil décida également [Auclaire ne mentionne pas à quelle date], que la municipalité aurait sa balance publique et qu’on résilierait l’entente qui existait entre celle-ci et les usines Willett pour l’usage de leur balance. D’autant plus, que se serait, dorénavant, la corporation qui profiterait des taux de pesée. On installa celle-ci en face de la bâtisse du marché parallèlement et près de la rue (voir plan d’assurance de 1891). On l’abrita sous un bâtiment de planches avec portes de trois mètres de hauteur sur toute la largeur de l’abri. Ces portes étaient cadenassées la nuit. Le secrétaire-trésorier en était le peseur officiel. 

LE MARCHÉ DE JOHN WATTS

Dix ans plus tard, la Corporation du village de Chambly Bassin accordait, en vertu du Règlement No 16, amendé par le Règlement No 17, en dates respectives des 22 août et 3 octobre 1859, les droits de tenir un marché public pour 10 années au marchand John Watts.  Voici la description de ce marché :

Un marché d’au moins cinquante pieds de long sur pas moins de dix-huit pieds de large et une balance pour y peser les foins, pailles &c. dans le village du Bassin sur un terrain tenant d’un côté au terrain du couvent (aujourd’hui le 56 Martel), de l’autre côté à une décharge (aujourd’hui la station de pompage), devant au Chemin du Bassin (aujourd’hui la rue Martel, anciennement « Front Street »), derrière au dit bassin. 

Malheureusement, le plan de ce bâtiment n’a pas été trouvé. La clause 17º du Règlement No 16 établissait les taux de pesée, que l’on pourrait croire concurrentiels avec ceux de Chambly-Canton. Voici ces taux :

17º Il sera exigé et demandé pour le pesage de chaque voyage de foin et de paille &c. n’excédant pas huit cents livres, quatre deniers courants et n’excédant pas douze cents livres, cinq deniers courants et pour le pesage de chaque voyage au-dessus de douze cents livres et n’excédant pas seize cents livres, six denier courants [et] pour le pesage de chaque voyage au dessus de size cents livres, sept deniers courants

Nous croyons que le village du Canton avait dans ses règlements une restriction similaire à la clause 7º amendée par le Règlement No 17, comme suit :

« 7º Il ne sera permis à aucune personne ou personnes de vendre, acheter, livrer ou recevoir du foin ou de la paille ou autres » :

NOUVEAU RÔLE DU MARCHÉ

Selon Auclaire : « le marché fut actif durant une quarantaine d’années puis, pour diverses raisons, commença à péricliter. En 1871, l’Institut mécanique avait fait don de son édifice à la corporation et, dorénavant, celui-ci devait servir de salle publique aux différentes activités des habitants de Chambly-Canton. Il y eut bien encore quelques agriculteurs qui utilisèrent sa disponibilité jusque vers 1889 mais, entre cette date et 1897, on ne sait pas trop à quoi il servit. C’est au cours de cette dernière année qu’il reprit vie dans une nouvelle vie. La construction de l’aqueduc à Chambly-Canton et à Chambly- Bassin venait de se terminer. »[8]

Selon l’auteur de LA CORPORATION DU VILLAGE DU CANTON DE CHAMBLY … un siècle d’histoire :« en juin 1849, il est question d’acheter une pompe à feu à vapeur au prix de 75 livres, mais comme les coffres de la corporation sont vides, on abandonne le projet. »En effet, ce premier projet de protection contre l’incendie et la formation d’une brigade de pompiers doit attendre 1897 et le changement de vocation du marché. C’est Paul-Henri Hudon, de la SHSC qui nous informe de la création de cette brigade et d’autres informations à son sujet. Dans un procès-verbal de la municipalité de Chambly-Canton du 20 décembre 1897 :

Il est résolu qu’une brigade de pompiers soit organisée et, qu’en cas d’incendie, une somme de 0.25¢ par heure soit payée à toute personne faisant partie de cette brigade ; et qu’une somme de 50 $ soit accordée pour les temps d’exercice, mais limités à trois ou quatre par mois durant les beaux temps d’été. Cette brigade sera connue sous le nom de « Dominion no 2». 

Parmi les premiers sapeurs de la brigade « Dominion no 2 », dirigée par le chef Pierre Champagne, on trouve William Bell, assistant, Jérémie Beaulieu, secrétaire. Les volontaires sont : Moïse Prévost, Joseph Lajeunesse, Wilfrid Parent, Jean-Baptiste Desrochers, Joseph Mark, Adélard Dubuc, Alphonse Janelle, Charlemagne Dumaine, Charles McGovern, Ambroise Faille, Arthur Lussier, John Spedding, Télesphore Brunelle et Henri Mailhot.

Quelques mois plus tard, la brigade demande à la municipalité de lui fournir des équipements : Un livre, quatre haches, quatre fanaux, une lampe, douze ceintures, une table, douze chaises. C’est accordé, mais on refuse les quatre habillements demandés. (Procès-verbaux de la municipalité de Chambly-Canton, 4 avril 1898). Malgré cet appui, la brigade cesse d’exister en mars 1899. Nous ignorons les raisons de cet échec. 

Après la construction des aqueducs, encore selon Auclaire :

Les deux municipalités songèrent à assurer la protection de leurs contribuables contre le pire fléau de l’époque; les incendies. Chaque village fit l’acquisition des boyaux et des véhicules pour le transport de ceux-ci. Le fourgon à incendie, que l’on ne voit plus que dans les musées, consistait en deux grandes roues de 1.50m de diamètre reliées par un essieu auquel était fixé un guidon simple qui se terminait en forme de croix tau. Sur un cylindre amovible de tôle épaisse et d’un diamètre d’environ 50 cm, fixé autour de l’essieu, on enroulait les boyaux. Le véhicule était surmonté d’une tige de métal en forme d’arc auquel était suspendue une cloche à battant que les mouvements de la voiture faisaient tinter. Au-dessus des boyaux, il y avait un coffre dans lequel on rangeait lances, haches et clés pour ouvrir et fermer les bornes-fontaines.

Ce porte-boyaux pouvait être attaché à l’arrière d’une voiture hippomobile quelconque ou, à défaut de ce moyen de remorquage, il pouvait être tiré par quatre hommes installés derrière la traverse de croix en tau. 

Voici un exemple d’un ancien porte-boyaux, semblable à celui du Canton :

« À la bâtisse principale [du marché], on ajouta un abri pour la voiture des pompiers surmonté d’une tour à séchage d’une dizaine de mètres de hauteur. Des poulies étaient fixées au faîte de l’intérieur de la tour et les boyaux étaient hissés au moyen de câbles. En 1938, la corporation déménage son service d’incendie dans le rajout qu’elle a fait construire à l’hôtel de ville pour y abriter le camion-pompe qu’elle vient d’acquérir (aujourd’hui les locaux de la SHSC). » [9]

PLAN D’ASSURANCE DE 1928

Animé par une grande ferveur religieuse, déjà en 1928, le conseil du village avait décidé de changer les noms de plusieurs rues pour des noms de saints pour les mettre sous la protection divine.  La rue du Marché (« late Market Street »),  prend le nom d’un des saints les plus connus, St-Joseph.

De ce plan on voit que le bureau d’imprimerie n’est plus sur le site. Cependant, les « scales », ou pesées, sont  toujours présentes, comme le petit bâtiment (maintenant deux) en arrière à la droite. Le bâtiment original du marché a été changé. Il est toujours d’un étage et demi, mais il n’existe un toit de galerie que du côté droit, en avant. Ce bâtiment en bois est identifié « Fire Station », ou caserne de pompiers. Une extension est ajoutée, côté gauche, pour « 2 hose reels », c’est-à-dire deux grandes roues pour les boyaux, et on peut observer la tour à séchage. Il y a même maintenant une borne-fontaine à côté de la pesée. Un nouveau bâtiment s’ajoute en arrière à droite. Selon la légende du plan, c’est un édifice de « stone veneered storage », ou un bâtiment de rangement recouvert de pierre. On en ignore l’utilité.  

En 1965, lors de la fusion des deux municipalités (Fort Chambly et Chambly Bassin) pour former la Ville de Chambly, on se trouve avec deux rues Saint-Joseph. C’est celle qui nous intéresse qui perd son nom en faveur d’une nouvelle toponymie, rue Lafontaine, en hommage au Docteur Charles R. Lafontaine (numéro civique 7) qui demeurait, au moment de la construction du marché, sur cette rue et qui avait été conseiller du village, selon Auclaire, en 1849 et de nouveau de 1854 à 1859. Entre la maison du Dr Lafontaine et le marché, se trouvait, en 1965, la maison de James Gibson, l’imprimeur et secrétaire-trésorier de la corporation de 1887 à 1897.

PLAN D’ASSURANCE 1962

En 1962, selon ce plan,  il ne reste sur le terrain du marché que l’édifice qui servait de caserne de pompiers.

MERCREDI, 18 DÉCEMBRE 2017



[1] Programme Souvenir 1849… 1949… Chambly-Canton 3-4-5 Septembre, LA CORPORATION DU VILLAGE DU CANTON DE CHAMBLY … un siècle d’histoire. [Auteur Armand Auclaire ?]

[2] Paul-Henri Hudon.

[3] Auclaire, Armand, LE MARCHÉ DE CHAMBLY-CANTON, bureau municipal, premiers pompiers, Cahiers de la Société d’histoire de la seigneurie de Chambly, vol. 2, no 1, février 1980 (#3),   pp. 11-14.

[4] Ibid., p. 15

[5] Programme Souvenir.

[6] Paul-Henri Hudon.

[7] Op. cit., p. 15.

[8] Op. cit., p. 14-15.

[9] Op. cit., pp. 14-17,