Note: si ce n’est déjà fait, nous vous invitons à lire la première partie de ce dossier.

1723

            Voici une carte illustrant le dénombrement des habitants d’une partie de la seigneurie de Chambly en 1723, tel que publié dans Les Cahiers de la Seigneurie de Chambly, Numéro 29, Septembre 2005, pp. 20-21. Le marché du Canton se trouve à l’intérieur du « Domaine du seigneur », un domaine partagé par les coseigneurs de Chambly. Il s’agit également d’un des plus anciens quartiers résidentiels qu’on appelait le faubourg Saint-Jean-Baptiste, nommé pour Jean-Baptiste Boucher de Niverville, seigneur primitif ou principal de Chambly-Ouest à partir de 1719. Le fief de Niverville (une lieue et demie) sera vendu à Gabriel Christie en 1796. Le fief passe de la famille Christie à la famille Hatt en 1816, et ultimement, à la famille Yule en 1845, et ce, jusqu’en 1861.  

            Au fil des années, dans le secteur sud-est du fief, les seigneurs concédent de plus en plus de terres à des anglophones, au point qu’on voit apparaître, au milieu du XIXe siècle, la désignation d’un « Village Anglais » (futur « Canton ») qui se distingue du « Village Français » autour du bassin, plus à l’ouest. Le lotissement du village se poursuit, ce qui permet à la Corporation du Village du Canton de Chambly, incorporée en 1849, d’acheter,la même année,de Mahlon Willett, ce qui sera désigné en 1867 le lot 44, pour y construire et établir le premier marché public. Ce marché sera ouvert au mois de septembre 1849.

            Entre le 19 septembre 1853 et le 21 novembre 1854, les censitaires du secteur du Canton du fief de Niverville comparaissent devant un des représentants des seigneurs (les héritiers de feu William Yule), John Yule, et son agent, le notaire Paul Bertrand de Saint-Mathias, pour obtenir un « titre nouvel » pour leur propriété, ce qui constitue le papier terrier de ce fief. Mahlon Willett comparaissait le 4 juillet 1854 pour obtenir confirmation du terrain qui lui restaient de l’ancien domaine des seigneurs de Niverville (Acte Nº 6172) au Canton. Le docteur Charles-Robert Lafontaine, un des premiers conseillers de la nouvelle municipalité du Canton, comparaissait le 29 mars 1854 en lien avec ses trois lots (Actes Nº 6107, Nº 6108 et Nº 6109) qui se trouvaient en proximité du marché et dans l’ancien domaine. Curieusement, on ne trouve pas une comparution par la corporation elle-même, à son nom propre, au greffe de Bertrand pour la confirmation de son titre. 

            Rappelons qu’à cette époque le système seigneurial n’avait pas encore été aboli. Les cens et rentes sont toujours dûs le 11 novembre (jour de la Saint-Martin), même pour les municipalités incorporées.

            La prochaine étape se trouve dans le rapport de Henry Judah du 24 janvier 1861. Il s’agit du cadaste abrégé (No. 31) de la partie de la seigneurie de Chambly-Ouest, propriété des héritiers de William Yule. Le rapport des censitaires de Chambly-Canton, les numéros de référence 269 à 335, donc 67 concessions, confirme les noms des propriétaires à cette époque. Cependant, il n’y a pas le numéros du terrier dans le rapport, ni les numéros attibués aux lots des terrains. Voici l’entête d’une page de ce document avec les propriétés qui nous intéressent.

Le terrain de la Corporation du Village du Canton (le marché) a 90 pieds de front par une profondeur de 155 pieds et l’emplacement (pour d’autres fins que des fins agricoles) a une valeur de 100 livres, cours actuel. La rente constituée est modeste, établie à deux shillings, six deniers. Le voisin, Georges Yaffe (sic, Taaffe), cordonnier, le premier clerc ou gérant du marché, a un lot de 50 pieds de front par une profondeur de 132 pieds et son emplacement est évalué à 75 livres. Il doit payer la même rente constituée que sa voisine, Hortense Lukin, veuve de David David, c’est-à-dire un shilling, deux deniers, malgré le fait que leurs terrains sont de la même superficie,mais que l’emplacement de Lukin a une valeur de 15 livres de plus. Par contre, Mahlon Wellet (sic, Willett) est le propriétaire de l’ancien manoir Hatt (aujourd’hui site de la résidence Emma- Lajeunesse) sur un terrain d’une superficie de 4¼ arpents (il en avait cinq en 1846, au moment où il est devenu propriétaire). Il doit payer presque une livre (20 shillings) de rente constituée, donc presque 10 fois la rente du marché, même si son emplacement ne vaut que 500 livres ou 5 fois sa valeur. On ignore le raisonnement de Judah pour arriver à ces différences.

Il est significatif que ces terrains se trouvent sur l’ancien domaine des Boucher de Niverville et qu’une des petites-filles du dernier seigneur de ce nom, Hortense, était toujours propriétaire d’une partie de ce domaine en 1861. Sa mère, Louise Boucher de Niverville,avait épousé David Lukin, à Chambly, le 7 février 1793. Hortense, née en 1798, avait épousé à Chambly, le 17 mai 1819, David David, ancien lieutenant-colonel de la milice et marchand, décédé à Chambly le 12 septembre 1841. En 1861, Hortense Lukin est veuve depuis 20 ans lorsque son nom apparaît dans le cadastre abrégé de Judah. Sa fille, Hermine, avait épousé le docteur Charles-Robert Lafontaine; ce dernier possède un terrain au même endroit de 50 pieds de superficie et un emplacement d’une valeur de 75 livres pour lequel il doit payer la même rente constituée que le marché du Canton, soit deux shilling, six deniers. Il avait obtenu ce terrain par donation de sa belle-mère le 22 août 1848.

Finalement, le 30 décembre 1867, le plan officiel de Chambly Canton, on attribue au lotissement du Canton des numéros de lots, y compris une description technique du lot. Une copie du plan avec les pages des descriptions (Livre de renvoi) se trouvent à la SHSC. L’emplacement du marché fait officiellement partie du lot 44 du Canton. Voici une partie du plan officiel du Canton :

            La rue de Bourgogne semble la seule à porter « officielement » un nom dans ce quartier. En 1854, on faisait référence au « chemin de la Reine qui va à Saint-Jean ». Le lot 44, au nom de la Corporation du Village du Canton (site du marché depuis 1849), contient 90 pieds de largeur, sur 160 pieds de profondeur dans une ligne et 150 pieds de profondeur dans l’autre, formant 13 950 pieds en superficie, borné en front par une « ruelle », en profondeur par le Nº 48, d’un côté par le Nº 43 et de l’autre par le Nº 45. Sur la même « ruelle » les lots de chaque côté du marché, les Nº 43 (180 pieds de largeur) et Nº 45 (45 pieds de largeur), appartiennent à Hortense Lukin, veuve de David David.

            Au bout nord du lot 43 se trouve une autre « ruelle », autrefois le « chemin du Faubourg Saint-Jean Baptiste », d’un toponyme ancien; en 1854 elle se nomme la « rue du Coteau », aujourd’hui, elle porte le nom de « rue du Centre ».  De l’autre côté de cette ruelle allant jusqu’à la « rue » ou (en 1854 le « chemin qui conduit au moulin banal », se trouve le lot 37 également au nom de Hortense Lukin et à côté d’elle, son gendre, le docteur Charles-Robert Lafontaine, propriétaire du lot 38.

            Tous les lots du côté ouest de la « ruelle » où se trouve le marché sont bornés par les terrains de Sa Majesté, les Nº 39 et Nº 48 (propriétaire depuis 1812). C’est aussi la limite de la partie du domaine appartenant à la famille Boucher de Niverville.

            Hortense Lukin est également la propriétaire du lot 33 de l’autre côté de la ruelle qui est borné en front par cette « rue », désignée en 1854 comme le « chemin qui conduit au moulin banal », aujourd’hui la rue De Richelieu. Le lot 34 au sud de ce dernier lot est au nom d’Antoine-Louis Fréchette avec 40 pieds de largeur sur 130 pieds de profondeur. Le Nº 36 appartient à Camille Ulric et le Nº 35 à nouveau au gendre de Hortense Lukin, Charles-Robert Lafontaine. 

            Comment expliquer le fait qu’en 1853 – 1854 on ne trouve aucun titre nouvel accordé à Hortense Lukin alors qu’en 1861 elle est inscrit pour un petit lopin de 50 x 132 pieds avec un emplacement d’une valeur de £90, et que le 30 décembre 1867, elle est propriétaire de plusieurs lots (Nº 33, Nº 37, Nº 43 et Nº 45) au cœur du domaine de ses ancêtres ?   

            Il est intéressant de noter également qu’entre le 24 janvier1861 et le 30 décembre 1867, on on compte désormais 121 lots (y compris le pont Yule) au Village du Canton de Chambly.

            Rappelons l’état du site du marché en 1891. Les bâtiments, quatre, sont en gris.

            Pour ce qui est de la balance publique (scale) présente sur le site en 1891, nous savons que depuis au moins 1837 la compagnie H. B. Warren & Co. avait des « patentes » (brevets) sur des balances et était fière d’en faire la publicité comme en témoigne l’édition du lundi, 4 décembre 1837, du journal Le populaire :

            C’est également dans l’Annuaire de Lovell que la compagnie Warren publiait cette publicité :

            Nous ignorons si la balance du marché du Canton était une de H. B. Warren & Co. ou non. L’historien Paul-Henri Hudon rapporte que le procès-verbal de Chambly Canton de janvier 1897 (p. 214) nous informe : « Un endroit pour garder en sécurité les (hoses) à incendies est fixé à la bâtisse du marché public ». Le nouveau secrétaire-trésorier, Joseph Demers, qui remplaçait James Gibson en 1897 est engagé « pour une autre année avec logement et eau gratis pour les charges suivantes : secrétaire-trésorier, gardien du marché public, balance et parc d’enclos, collecter les taxes et tenir une surveillance effective sur le tout ». (Procès-verbal. V. 7, mars 1898, p. 269). Il nous informe également de deux autres clercs du marché : Joseph Beaudoin et Pierre Viau.

Pour démonter l’évolution de ce quartier à l’est de la rue « Market » entre 1891 et 1913, voici une copie d’une partie du plan d’assurance du Canton en 1913. La « Rue » de 1867, « chemin qui conduit au mouin banal » en 1854 devient, en 1913, la rue « Pontchatrain ». Elle deviendra la rue De Richelieu. Sur le plan, on voit l’emplacement de l’ancien manoir Hatt en pierre et les moulins en pierre Willett. Quelques résidences occupent une partie du lot 33 de Hortense Lukin.

ÉTRANGE DÉCLARATION DE SAMUEL THOMAS WILLETT

            Le 14 juin 1909, Samuel Thomas Willett, manufacturier de Chambly Canton, comparait devant le notaire de Chambly Emery Philippe Bertrand (1881-1931, CN601, S613), pour faire une déclaration en anglais sous serment. Il déclare que feue Hortense Lukin, veuve de David David, en son vivant du Village de Chambly Canton, est décédée à Saint-Ours aux alentours de 1869, intestat. Lui ont survécu ses seules heirs at law and legal representatives(héritiers et représentants) les enfants suivants, issus de son mariage avec feu David David : Dame Hermine David, épouse de Charles-Robert Lafontaine, docteur en médecine, Samuel David, docteur en médecine, et « Etelude David, at that time spinster ». Cette dernière, selon une généalogie en ligne, serait Etheldrithe Marcelline Rachide David, née le 13 mai 1829 et décédée à Saint-François-du-Lac en 1896. Selon cette généalogie, en 1869 elle vivait encore avec son premier époux et elle aurait survécu à son époux en deuxième noces. Elle n’était certainement pas une « spinster », c’est-à-dire, pas une célibataire ou vielle fille.

              Willett déclare que parmi tous les droits, intérêts et prétentions dans les immeubles de feue Hortense Lukin au moment de sa mort, se trouvaient, au Village de Chambly Canton, les lots l33-1, 33-2, 33-3, 33-4, 33-5, 33-6 et 33-7, les Lots 37-1, 37-2, 37-3 et 37-4, les lots 38-1, 38-2 et 38-3 et les lots 43-1, 43-2 et 43-3. La déclaration est signée par Willett, Bertrand ajoute sa signature et inscrit l’original du document sous le numéro 4633 de son greffe.

            Pourquoi cette déclaration 40 ans après le présumé décès de Hortense Lukin ? Nous n’avons pas la réponse à cette question.

            Rappelons qu’en 1928, le 13-15 Lafontaine servait de caserne de pompiers pour le Canton, le bâtiment de la balance était toujours présent sur le site et l’ancienne imprimerie de Gibson n’existait plus.

 Le 19 juillet 1939, après avoir mis en service sa nouvelle caserne de pompiers à côté de son hôtel de ville (aujourd’hui le site de la SHSC), la Corporation du Village du Canton de Chambly vendait le lot 44 avec les bâtiments à George Gagné pour 1 000$.  

PLAN D’ASSURANCE 1962

            En 1962, selon ce plan, tout ce qui reste sur le terrain du marché est l’édifice qui servait anciennement de caserne de pompiers. George Gagné avait vendu le Lot 44 à Dame veuve J. D. Pichette en 1942 pour 1 800$. À son tour, elle a vendu à Lucien Janelle en 1961 pour 18 000$. Immeuble Baylex en est le propriétaire depuis le 20 janvier 2015.

            Rappelons que l’ancienne maison patrimoniale Beauchamp, déménagée de son site de la rue Bourgogne où se trouve les condos, a été installée sur une nouvelle fondation à l’arrière du Lot 46 sur la rue Lafontaine.

 Une dernière petite correction : le propriétaire de l’ancienne imprimerie n’était pas ThomasGibson, mais JamesGibson, le secrétaire-trésorier de la Corporation du Village du Canton de Chambly jusqu’en 1897.