Monsieur le maire de Chambly,

Dans votre lettre publiée hier en pleine page dans le Journal de Chambly, vous affirmez que la seule chose qui ressort de deux ans d’enquête, c’est une conversation enregistrée à votre insu avec une personne que vous pensiez être votre ami.

À quelle sorte d’ami dites-vous « T’as veux-tu la guerre? T’as veux-tu? Osti , je te le dis : la veux-tu? »

Mais avons-nous bien regardé la même émission? Celle que j’ai vue parle de mises en demeure à répétition, de deux anciens employés qui ont courageusement accepté de témoigner à visage découvert, d’une situation qu’un ancien ministre des affaires municipales a qualifiée « d’apparence de conflit d’intérêt » qui est, selon lui, aussi grave qu’un conflit d’intérêt. Vous avez vraiment manqué toute cette partie de l’émission? Soyez rassuré, c’est disponible sur le site de Radio-Canada.

Mais revenons donc à cette lettre où vous dites que votre seule préoccupation était de défendre des enfants de 12 ans. Dans quel rôle exactement considériez-vous que vous aviez le droit de faire congédier quelqu’un qui ne relève pas de vous? Rôle de maire? Rôle d’avocat? Radio-Canada, que vous écorchez avec grand plaisir, vous a déjà cité fidèlement à ce sujet, le 3 septembre dernier : « On demande aux gens, lorsque les lois sont violées, pour ne pas se faire justice soi-même, de s’adresser aux mécanismes prévus à cet effet. » Ce sont vos paroles. Les reniez-vous maintenant?

Or, à l’écoute de cet enregistrement avec votre « ami », on semble plutôt découvrir un père mécontent du temps de jeu de sa fille et qui, fort de son statut de « maire de 30 000 », décide de prendre les choses en main. L’enquêteur, le jury et le juge sont tous la même personne : on y gagne en efficacité. Yves Boisvert, dans la Presse, note que vous n’êtes pas le seul parent à penser que son enfant mériterait plus de temps de jeu, mais vous êtes un des rares à aller aussi loin pour obtenir « justice ».

L’enregistrement est clair. Vous n’avez rien à faire de l’avis de M. Girard, et vous ne voyez pas l’intérêt de permettre au coach de l’équipe de présenter son point de vue. Le vôtre vous suffit amplement, semble-t-il. Vous vous êtes fait votre idée et maintenant vous avez aussi déterminé la peine. Cela fait penser à du vigilantisme, aussi appelé « auto-justice » qui, je crois, est illégal dans la plupart des recoins du Canada, mais bon, c’est vous l’avocat.

Cela fait tout de même un peu peur, de la part de quelqu’un qui s’est donné beaucoup de mal pour doter la ville de Chambly de son propre service de police. Allez-vous vous attendre à ce que ce corps de police soit l’exécuteur de votre justice expéditive envers les citoyens de Chambly qui auront eu l’heur de vous déplaire? À côté de cela, les mises en demeure risquent de passer pour de la petite bière.

Peut-être croyez-vous qu’il y avait urgence? Qu’on ne pouvait pas se permettre d’attendre ce que les anglo-saxons appellent le « due process », qu’on peut traduire par « procédure prévue par la loi ». L’urgence a souvent bon dos. On l’a vu dans le cas de la maison Boileau. Pendant deux ans, votre administration refusait de révéler le moindre document à son sujet, car les gens ne comprendraient pas, disiez-vous. Maintenant que tout a été enlevé, jusqu’à la dernière pierre, les documents apparaissent miraculeusement et les citoyens sont soudain suffisamment éduqués pour pouvoir les analyser. Oui, l’urgence est bien pratique.

Vous concluez en promettant de toujours défendre nos enfants « avec la plus grande des énergies quoiqu’il arrive ». Fort bien. Mais il faudrait aussi quelqu’un pour protéger les coachs de soccer qui se font congédier sous un faux prétexte, sans jamais avoir eu l’occasion d’être entendus. Le code de déontologie des avocats du Barreau donne, dans son préambule, une liste de principes dont l’avocat doit toujours s’inspirer. Le premier de ces principes est « le respect des règles de droit et le maintien d’un État de droit ». Mais il est vrai que vous agissiez en tant que père et maire (« de 30 000 »), pas – dans ce cas-ci – en tant que Maître.

Jean-Patrice Martel
Citoyen de Chambly
28, novembre 2018