Quarante-cinq manquements au Code d’éthique et de déontologie des élus de la Ville de Chambly. C’est ce que la Commission municipale du Québec (CMQ) allègue après enquête au sujet de l’ex-maire de Chambly, Denis Lavoie. Ce code d’éthique et de déontologie a pourtant été élaboré et approuvé par sa propre administration. Le maire a dix jours (à compter du 26 mai) pour contester ces manquements, qui se seraient produits à différents moments, souvent échelonnés dans le temps, les plus anciens remontant jusqu’à août 2013 et les plus récents se terminant le 7 mai 2019.

Bien que le nombre semble élevé, certains ont noté qu’il est possible que la commission en ait omis quelques-uns. Que l’on pense à l’intimidation contre une conseillère d’opposition sous la forme d’une publication dans le Journal de Chambly. Ou l’adoption d’une résolution basée sur l’existence d’affidavits inexistants. Lors de son dépôt en preuve à la Commission d’accès à l’information du Québec, le texte avait changé, de sorte que la résolution que la commission a reçue n’était pas celle que les élus avaient adoptée (voir encadré).

Ci-dessus : le texte de la résolution du conseil municipal a été modifié au moment d’être mis en preuve, les affidavits étant devenus des « projets d’affidavits », la différence étant à peu près la même que la différence entre « gagner à la loterie » et « rêver de gagner à la loterie ». À noter que la Ville a été déboutée sur toute la ligne dans cette affaire.

Responsabilité partagée?

Plusieurs médias (le Journal de Montréal, le Devoir, Radio-Canada, le Journal de Chambly, Chambly Matin) ont décrit les grandes lignes de cette citation. Nous ne répéterons pas l’exercice. Ce texte s’intéresse plutôt aux élus qui ont toujours défendu bec et ongles l’ex-maire, malgré les nombreux cris d’alarme lancés par les citoyens, le parti d’opposition (à l’époque) et même certains médias. Ces élus (Serge Gélinas, Julia Girard-Desbiens, Luc Ricard, Paula Rodrigues, Jean Roy, et Richard Tétreault, de même que, jusqu’au 6 novembre 2017, Sandra Bolduc et Marc Bouthillier) étaient très proches de l’ex-maire, donc auraient dû être les mieux placés pour constater les dérives, mais au contraire ils ont été les derniers à le faire – et certains ne semblent toujours pas l’avoir fait.

Faisons un parallèle : en avril 2006, Arnaud Lagardère, co-président du conseil d’administration d’EADS (propriétaire d’Airbus), vendait une part de ses 7,5% d’actions dans la compagnie, quelques semaines avant l’annonce que le programme de l’A380 connaissait de sérieux retards. Au sujet de cette étrange et très suspecte coïncidence, il affirma au journal Le Monde : « J’ai le choix entre passer pour quelqu’un de malhonnête ou d’incompétent qui ne sait pas ce qui se passe dans ses usines. J’assume cette deuxième version. »

Évidemment, peut-être existe-t-il une troisième voie à laquelle les nombreux avocats de ce multimillionnaire n’ont pas pensé, qui sait. Tout de même, on trouve dans les 45 manquements reprochés à l’ex-maire Lavoie

  • Des situations où les élus étaient directement impliqués (nos 1, 2, 4)
  • Des situations où les élus ont carrément voté en faveur des décisions du maire considérées par la CMQ contraires à l’éthique ou à la déontologie (nos 28, 29, 30, 31, 43)
  • Des situations où les élus savaient ou auraient forcément dû savoir ce qui se passait (plusieurs de celles-ci ayant d’ailleurs été dénoncées à l’époque par des citoyens), sans rien dire ou faire (nos 12, 13, 14, 36, 37, 38, 40, 41, 42)
  • Une situation qui contredit l’argument souvent entendu par certains élus comme quoi aucune plainte de harcèlement n’a jamais été soumise aux Ressources humaines de la Ville (no 27)
  • Une situation où, ayant vu de leurs propres yeux (à l’émission Enquête) une situation flagrante d’abus de pouvoir en même temps que le reste du Québec, les élus ont fermé les yeux et, dans l’ensemble, réaffirmé leur soutien à l’ex-maire (no 44). En réponse à une lettre (critique) de Démocratie Chambly, le maire suppléant Jean Roy avait notamment produit une lettre qui affirmait que « Votre lettre est ni plus ni moins qu’une autre pitoyable attaque contre M. Lavoie et son équipe et le simple fait de la rendre publique en fait foi »

Déficit d’attention?

Petit coup de projecteur sur le manquement no 4, qui signale que l’ex-maire a « influenc[é] ou tent[é] d’influencer (…) des élus (…) afin qu’ils ne collaborent pas à l’enquête de la DCE [Direction du contentieux et des enquêtes] ou afin qu’ils posent des gestes visant à nuire à cette enquête (…) ». Aucun des élus n’a cru bon de dénoncer ces pressions? Pas un? (On note tout de même que l’élue Julia Girard-Desbiens a démissionné à peu près à cette époque, mais sans dire un mot de ces pressions.)

Autre coup de projecteur, cette fois sur le manquement no 43. On y lit que « Monsieur Lavoie [a] orchestr[é] la destruction de la maison Boileau afin de créer une diversion médiatique au reportage de l’émission « Enquête » de Radio-Canada le concernant (…) ». C’était évident pour tout le Québec mais apparemment pour aucun des élus pro-Lavoie de l’époque. Comment était-ce possible? Peut-être ces élus n’osaient-ils pas « Challenger le pouvoir politique », pour reprendre une expression rendue célèbre par l’ex-maire?

Tout est bien allé

Après la démission de Denis Lavoie, son suppléant Jean Roy a annoncé le 28 avril 2019 la dissolution du parti Action Chambly (lequel ne comptait plus à ce moment que Serge Gélinas et lui-même) en affirmant : « Mission accomplie : Action Chambly met fin à ses activités ».

Dieu du Ciel, quelle était la mission?

Jean-Patrice Martel